23 outubro 2006

Le petit prince

Antoine de Saint-Exupéry

1.
(...)
Les grandes personnes m’ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas ouverts ou fermés, et de m’intéresser plutôt à la géographie, à l’histoire, au calcul et à la grammaire. C’est ainsi que j’ai abandonné, à l’âge de six ans, une magnifique carrière de peintre. J’avais été découragé par l’insuccès de mon dessin numéro 1 et de mon dessin numéro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.

J’ai donc dû choisir un autre métier et j’ai appris à piloter des avions. J’ai volé un peu partout dans le monde. Et la géographie, c’est exact, m’a beaucoup servi. Je savais reconnaître, du premier coup d’œil, la Chine de l’Arizona. C’est très utile, si l’on est égaré pendant la nuit.

J’ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sérieux. J’ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n’a pas trop amélioré mon opinion.

Quand j’en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expérience sur elle de mon dessin n° 1 que j’ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait: “C’est un chapeau.” Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni d’étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.

16.
La septième planète fut donc la Terre.

La Terre n’est pas une planète quelconque! On y compte cent onze rois (en n’oubliant pas, bien sûr, les rois nègres), sept mille géographes, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi d’ivrognes, trois cent onze millions de vaniteux, c’est-à-dire environ deux milliards de grandes personnes.

Pour vous donner une idée des dimensions de la Terre je vous dirai qu’avant l’invention de l’électricité on y devait entretenir, sur l’ensemble des six continents, une véritable armée de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de réverbères.

Vu d’un peu loin ça faisait un effet splendide. Les mouvements de cette armée étaient réglés comme ceux d’un ballet d’opéra. D’abord venait le tour des allumeurs de réverbères de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Puis ceux-ci, ayant allumé leurs lampions, s’en allaient dormir. Alors entraient à leur tour dans la danse les allumeurs de réverbères de Chine et de Sibérie. Puis eux aussi s’escamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de réverbères de Russie et des Indes. Puis de ceux d’Afrique et d’Europe. Puis de ceux d’Amérique du Sud. Puis de ceux d’Amérique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre d’entrée en scène. C’était grandiose.

Seuls, l’allumeur de l’unique réverbère du pôle Nord, et son confrère de l’unique réverbère du pôle Sud, menaient des vies d’oisiveté et de nonchalance: ils travaillaient deux fois par an.

Fonte: Saint-Exupéry, A. 1970 [1946]. Le petit prince. Paris, Gallimard.


0 Comentários:

Postar um comentário

<< Home

eXTReMe Tracker